
L’Aquarium, le centre névralgique de la déstabilisation de l’Occident par la Russie
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Le contre-espionnage militaire s’interroge sur le rôle de certains syndicats dans la déstabilisation de l’industrie de défense
En juin dernier, lors d’une audition au Sénat, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait indiqué que le nombre d’atteintes « physiques » [intrusions, cambriolages, tentatives d’approche, etc.], contre les entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] avait augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine.
« C’est quelque chose qui est très ‘Guerre froide’, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », avait souligné le ministre. On « n’est pas sur une petite opération de cyberattaque, mais bel et bien sur une opération beaucoup plus structurée de gens qui – au gré d’une visite, au gré d’un cambriolage qui paraît quelconque – tentent une intrusion dans une industrie de défense et dont il nous est clairement apparu que ça n’avait rien de domestique, que c’était bel et bien commandité par un acteur étranger », avait-il ajouté.
En octobre, le Délégué général de l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, s’était inquiété de la multiplication des actes malveillants commis contre la BITD française, en évoquant notamment les attaques informatiques. « On voit de plus en plus d’attaques structurées de services étrangers, dirigées plutôt vers des PME et des TPE, qui sont moins bien familiarisées aux moyens de lutte », avait-il ainsi expliqué aux députés.
Aux atteintes physiques et aux attaques informatiques, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense [DRSD, contre-espionnage militaire] a ajouté une troisième menace pesant sur la BITD : celle de l’ingérence informationnelle à des fins de déstabilisation.
En effet, dans sa dernière lettre d’information économique, la DRSD dit avoir constaté, en 2024, une « complexification des stratégies d’ingérences numériques, déployées par des acteurs malveillants à l’encontre des entreprises françaises de la sphère Défense », celles-ci devant éventuellement faire face à un risque « réputationnel » plus ou moins important selon leur « exposition médiatique » liée à leur implication dans le soutien de la France à l’Ukraine.
Ainsi, la DRSD a observé la « constitution d’écosystèmes de désinformation qui visent à optimiser la visibilité et la diffusion de véritables offensives numériques ».
Cette stratégie repose sur l’exploitation des médias, de la publicité et des réseaux sociaux, via des prestataires chargés de « développer l’infrastructure [marketing, sites internet] de ces campagnes d’influence », explique le contre-espionnage militaire. Elles sont généralement amplifiées par la création et l’utilisation de « médias, authentiques ou non », chargés de diffuser des « articles à charge ».
« Ces derniers nourrissent et crédibilisent des narratifs hostiles aux intérêts de la BITD. La redondance de l’information et les citations circulaires crédibilisent ces narratifs. Ces articles sont ensuite partagés sur les réseaux sociaux, au moyen de comptes officiels, de profils inauthentiques, de sympathisants voire d’influenceurs. Les réseaux sociaux permettent ainsi de créer une caisse de résonnance et de favoriser la diffusion de contenus viraux », détaille la DRSD.
L’achat d’espaces publicitaires et la rémunération d’ « influenceurs » chargés de relayer ces articles à charge font que les commanditaires de telles campagnes de déstabilisation peuvent parvenir à « toucher une audience large ».
À noter que la DRSD ne désigne par les acteurs de ces campagnes d’ingérence. Elle note seulement qu’il existe des « communautés numériques d’influence qui utilisent le conflit russo-ukrainien à des fins de déstabilisation » et que les « noms des sociétés françaises qui exportent du matériel de guerre sont utilisés autant par les partisans que par les détracteurs des parties impliquées dans le conflit et peuvent devenir les cibles d’attaques informationnelles ».
Cela étant, ces campagnes de déstabilisation ne se déroulent pas toujours dans l’espace numérique. La DRSD évoque en effet le cas d’une lettre qui, distribuée en mars 2024 aux salariés d’une entreprise de la BITD par des « représentants syndicaux », dénonçait « l’offensive de l’industrie de l’armement française dans l’unique but de servir le profit, les intérêts capitalistes et les guerres impérialistes ».
Si la DRSD s’est gardée de citer le syndicat à l’origine de ce tract, le champ lexical utilisé en donne une [petite] idée. « Ce type de narratif, également diffusé sur les réseaux sociaux par certaines organisations syndicales, peut être amplifié à l’étranger, notamment par l’intermédiaire de médias russes adeptes de la désinformation tels que Sputnik Afrique et Pravda », soutient-elle.
Une tel mode opératoire vise à atteindre trois objectifs : « relayer les discours critiques envers les prises de position de la France », « intensifier les campagnes de dénigrement des entreprises françaises de défense » [ce qui peut aussi profiter à leurs concurrents, ndlr] et « inciter les salariés à se mobiliser contre leur employeur ».
« Concrètement, pour les sociétés, une ingérence de ce type peut donner lieu à des contestations internes et des rassemblements aux abords de l’entreprise, ou encore à une perturbation de sa production et de son activité », résume la DRSD.
Enfin, la menace d’un sabotage peut aussi être un moyen utilisé pour déstabiliser une entreprise.
Dans sa lettre d’information, la DRSD donne ainsi l’exemple d’une entreprise qui, après avoir reçu des menaces par courrier et courriel, a été la cible de quatre jets de cocktails Molotov… Lesquels n’ont pas causé de dégâts. « Dans les semaines qui ont suivi cet incident, des survols de drones ont été détectés à plusieurs reprises par les agents de sécurité », a-t-elle expliqué.
Ministère de la Sécurité d’État : la machine de renseignement chinoise tourne à plein régime
Créé en 1983, le ministère chinois de la Sécurité d’État (MSS) s’avère être l’une des agences de renseignement les plus redoutables au monde à l’ère moderne. Il s’agit d’une agence civile de renseignement et de sécurité tout-en-un, qui assume parfois des rôles équivalents à ceux du FBI et de la CIA aux États-Unis. Depuis sa création, le MSS a élargi son mandat du contre-espionnage traditionnel à de nouveaux domaines de sécurité, comme le cyberespionnage, l’espionnage industriel et l’influence politique étrangère. Il est divisé en bureaux géographiquement séparés, ce qui accroît la compartimentation.
Images provenant de : WSJ ,維基小霸王, Vmenkov
1 Histoire du MSS
Le MSS a été créé en juin 1983 à la suite de la fusion de deux organisations gouvernementales, le Département central d’enquête (CID) et le Département de contre-espionnage du ministère de la Sécurité publique (MPS), principal service de renseignement jusqu’à cette époque. Une fois le MSS établi, il a mis en place des bureaux nationaux, municipaux et provinciaux. Les dirigeants chinois envisageaient un service similaire au KGB, couvrant les affaires intérieures et étrangères.
Après les événements de la place Tiananmen en 1989, le MSS a adopté une approche plus agressive envers les dissidents politiques. Il a surveillé de près les intellectuels et les groupes d’étudiants tout en renforçant ses capacités de contre-espionnage national.
Dans les années 1990, le MSS s’est tourné vers le renseignement technologique pour aider au développement et à l’économie de la Chine en volant des innovations aux entreprises et aux gouvernements d’autres pays. Cela impliquait toute une gamme de tactiques, du cyberespionnage aux pénétrations humaines. Au cours des années 2000 et 2010, les acteurs du MSS se sont occupés d’infiltrer des entreprises, des gouvernements et des réseaux de télécommunications occidentaux et leurs méthodes sont devenues de plus en plus axées sur les opérations cybernétiques. Dans les années 2020, le MSS s’est étendu à l’ingérence politique, aux cyberattaques agressives (y compris le sabotage) et au recrutement d’espions et à l’implantation d’agents d’influence dans les pays occidentaux.
2 Organisation
2.1 Structure du Ministère de la Sécurité d’État
La structure du MSS imite celle de la bureaucratie chinoise dans son ensemble. Il comporte un élément central qui crée un petit degré de coordination entre les 31 principaux bureaux d’État et locaux qui mènent la plupart des opérations majeures. Les bureaux de sécurité d’État (SSB) ont un degré de liberté relativement large pour poursuivre des sources nationales ou internationales, et chacun a une cible distincte. Le Bureau de sécurité d’État de Shanghai (SSSB), par exemple, se concentre sur les opérations contre les États-Unis. Pour illustrer son efficacité, le SSSB a recruté dès 2017 Kevin Mallory, un sous-traitant de la défense américaine et ancien agent de la CIA, qui a transmis des informations classifiées en échange d’une somme cumulée de 25 000 dollars ; il a ensuite été arrêté par le FBI et condamné à 20 ans de prison.
Chaque SSB dispose de ses propres informateurs et entretient des relations étroites avec les comités locaux du Parti. La plupart des bureaux du MSS placent le contre-espionnage au premier rang de leurs priorités. La taille des bureaux peut varier et, bien que leur nombre exact soit classifié, le Bureau de la sécurité d’État de Pékin (BSSB) est considéré comme particulièrement important.
Le MSS est la principale agence chinoise chargée d’espionner les minorités ethniques et les dissidents au sein de l’État chinois, comme les Ouïghours et les Tibétains. Cette opération vise à apaiser les « troubles ».
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2.2 Place au sein d’un gouvernement plus large
Le MSS travaille en étroite collaboration avec le MPS sur les questions de surveillance intérieure. Le MPS gère la plupart des activités d’espionnage politique intérieur, tandis que le MSS s’occupe des individus soupçonnés d’avoir des liens avec l’extérieur et des minorités ethniques. Ils collaborent étroitement sur une grande partie des questions de sécurité intérieure.
2.3 Recrutement
Embauche de personnel
La plupart des méthodes de recrutement sont secrètes, mais le ministère de la Sécurité d’État recrute généralement des employés dans les meilleures universités de Chine. Les offres d’emploi comprennent un contrat avec un nombre minimum d’années d’ancienneté. Le ministère apprécie les compétences linguistiques, comme la maîtrise de l’ouïghour.
Recrutement de sources étrangères
Les agents des services secrets chinois tentent régulièrement d’infiltrer des gouvernements étrangers en recrutant des fonctionnaires en activité ou à la retraite, y compris des membres des services de renseignements. La Chine a réussi à recruter des agents du Pentagone, de la CIA et d’autres agences gouvernementales américaines sensibles.
Les agents du MSS établissent parfois un premier contact avec des sources potentielles en se faisant passer pour des membres d’établissements d’enseignement ou en se faisant passer pour des entrepreneurs, des ruses qui aident à justifier le paiement à l’individu coopérant.
3 Opérations du Ministère de la Sécurité d’État
Les opérations de renseignement du MSS éclairent les décisions politiques du gouvernement qui supervise la deuxième économie mondiale. Par conséquent, le MSS exerce une influence indirecte à l’échelle mondiale. Certains affirment que les opérations de renseignement de la Chine sont plus efficaces que celles de services plus matures sur le plan opérationnel, comme le SVR russe.
3.1 Types d’opérations :
3.1.1 Renseignements étrangers
Le but premier du MSS est de recueillir des renseignements étrangers. Il les acquiert par le biais de sources humaines (HUMINT), d’espionnage industriel et de cyberespionnage. Le MSS étant une agence de renseignement secrète, la plupart de ses systèmes s’appuient sur une couverture solide pour fonctionner. Ils utilisent une « couverture officielle » comme la plupart des agences de renseignement mondiales. Le MSS est très efficace dans les opérations d’influence, en particulier contre les élites étrangères. Sa campagne d’influence la plus profonde a consisté à inculquer le concept de « l’ascension pacifique de la Chine », dans lequel les agents du MSS se faisaient passer pour des universitaires tout en construisant des relations avec des décideurs politiques, des universitaires étrangers et des diplomates, tout cela pour faire passer le récit selon lequel la Chine ne représentait aucune menace pour l’Occident.
3.1.2 Surveillance nationale et contre-espionnage
Le MSS a également pour objectif de surveiller et de recueillir des renseignements sur le territoire national. Il utilise principalement des technologies de surveillance pour détecter les menaces potentielles à la sécurité, mais il s’en sert également pour identifier des cibles de recrutement potentielles. Le MSS traque les dissidents et les loyalistes à Hong Kong, identifie les membres mécontents du gouvernement et analyse WeChat à la recherche de contenu sensible.
3.1.3 Opérations cybernétiques
Une grande partie des capacités opérationnelles du MSS se situe dans le domaine cybernétique. Il cible les infrastructures critiques et tente de pénétrer les gouvernements, les entreprises et les comptes et réseaux des élites. De nombreux cyberacteurs liés au MSS ont tenté d’utiliser des données accessibles au public pour exploiter les vulnérabilités des systèmes de gouvernements étrangers.
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3.2 Tactiques du ministère de la Sécurité d’État
Le MSS emploie deux tactiques clés : recueillir des renseignements sur tout et n’importe quoi et manipuler la culture (en exploitant le sentiment nationaliste de l’opinion publique) pour favoriser le contre-espionnage. Il encourage une société vigilante à travers des campagnes publiques utilisant des plateformes comme WeChat pour diffuser des messages et même des caricatures pour mettre en garde contre l’espionnage.
4 cas notables de MSS
4.1 La purge de la CIA de 2010-2012
Entre 2010 et 2012, le MSS a tué ou arrêté plus de 12 sources de la CIA, dont une abattue dans la cour d’un bâtiment gouvernemental. Il s’agit d’un revers important pour les opérations de renseignement américaines, et certains responsables américains l’ont décrit comme le pire échec du contre-espionnage depuis des décennies.
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4.2 Opération Fox Hunt
L’opération Fox Hunt a été lancée en 2014 pour montrer aux dissidents basés hors de Chine, principalement en Occident, que personne n’est à l’abri de Pékin. L’objectif était de forcer les ressortissants chinois à retourner en Chine pour y subir les répercussions de leurs actions jugées inacceptables par l’État, dans le cadre d’une tentative de réprimer la dissidence. Le gouvernement a rapatrié des milliers de dissidents et les a inculpés de crimes. Pendant ce temps, aux États-Unis, le FBI a arrêté plusieurs agents chinois qui traquaient, menaçaient et harcelaient des dissidents et les a traduits en justice. Le mépris de Pékin pour les normes du droit et de l’ordre internationaux a suscité un tollé.
4.3 Première pénétration connue de la CIA
Avant la création officielle du MSS, mais révélateur des capacités de ses prédécesseurs, Pékin a dirigé le premier infiltré connu de la CIA, Larry Wu Tai Chin. Larry est né à Pékin, en Chine. En raison de ses compétences linguistiques, il a été recruté par l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale comme traducteur et interprète. En 1948, il a accepté un emploi au consulat américain à Shanghai, où sa carrière d’espionnage a commencé. Pendant plus de 30 ans, il a transmis des renseignements aux responsables du renseignement chinois. En 1952, Larry a rejoint la CIA, plus précisément le Foreign Broadcast Information Service (FBIS). Puis, en 1970, après avoir passé un test polygraphique selon les normes de l’époque, Larry a été muté en Virginie. En Virginie, il a traité des informations de plus en plus classifiées. En 1982, le FBI a reçu une information et il a avoué son espionnage lors d’un interrogatoire. Finalement, en 1985, il a été accusé et arrêté pour espionnage.
4.4 Jerry Chun Shing Lee
Jerry Chun Shing Lee, ancien agent de la CIA, a révélé au MSS des secrets de ses 13 ans de carrière en échange de centaines de milliers de dollars. Le FBI l’a arrêté et condamné à 19 ans de prison. De plus, les autorités soupçonnent que les informations qu’il a transmises ont contribué à la purge de la CIA de 2010-2012.
Jerry Chun Shing Lee. [ source ]
4.5 Alexandre YukChing Ma
Un cas récent notable est celui de l’officier des opérations de la CIA Alexander YukChing Ma, né en 1952. Jerry a quitté la CIA en 1989 et a été recruté par la SSSB en 2001. À l’époque, il vivait et travaillait à Shanghai, en Chine. Son premier acte d’espionnage a été de faire une présentation d’une heure aux responsables des services de renseignement chinois sur des informations classifiées dont il se souvenait, pour laquelle il a été payé 50 000 USD. Après avoir été recruté, il s’est installé à Honolulu, à Hawaï, et a obtenu un emploi de linguiste au FBI en 2004. Bien qu’il soit déjà soupçonné de collaboration avec les services de renseignement chinois. Au total, son arrestation a eu lieu après une opération d’infiltration en 2020. Il a manifestement admis son espionnage et a plaidé coupable en septembre 2024.
5 L’avenir
Le MSS met en œuvre un programme ambitieux visant à encourager les citoyens ordinaires à jouer un rôle de contre-espionnage, transformant chaque citoyen en yeux et oreilles de l’État. Il met en avant le discours du « voir quelque chose, dire quelque chose » ciblant spécifiquement les efforts de renseignement pour tirer parti de l’importance culturelle du nationalisme en leur faveur. L’appareil de sécurité chinois le démontre dans la vidéo suivante :
Vidéo de propagande : [ source ]
Cette nouvelle orientation répond à un programme de contre-espionnage en pleine expansion. En 2023, le gouvernement chinois a certainement élargi ses lois sur le contre-espionnage, ce qui lui a donné une plus grande autorité et des motifs d’être agressif face aux menaces potentielles contre le régime. Tout cela laisse présager que la Chine deviendra de plus en plus difficile à opérer pour les agences de renseignement étrangères.
6 Conclusion
Le ministère chinois de la Sécurité d’État demeure l’une des agences de renseignement les plus redoutables au monde, jouant un rôle polyvalent dans la protection des intérêts intérieurs et extérieurs du pays. Le MSS est profondément impliqué dans la surveillance intérieure, en particulier des minorités ethniques et des dissidents, et dans les opérations de renseignement extérieur, y compris dans des affaires d’espionnage très médiatisées. Sa structure lui confère une forte sécurité grâce à son compartimentage et l’organisation est devenue plus agressive dans ses efforts de contre-espionnage, les récentes lois renforçant son emprise sur la sécurité intérieure. Le MSS utilise également des récits culturels et des campagnes publiques pour transformer les citoyens en instruments de collecte de renseignements.
Surveillance des risques de sécurité et évaluation des menaces d’Al-Shabaab en Somalie
Opérations militaires janvier 2025
23 février 2025
Ce rapport examine et analyse les opérations militaires de Harakat al-Shabaab al-Mujahidin en Somalie.
Date : janvier 2025
Méthode : Suivi de la propagande djihadiste (vidéos, photos, déclarations, revendications) et rapports de sources sur le terrain.
Organisations/groupes :
Zones impactées :
Malgré les opérations antiterroristes et sécuritaires menées par l’armée somalienne et les milices progouvernementales contre Al-Shabaab au cours des deux dernières années, le groupe terroriste continue de représenter une menace pour l’État somalien. Bien que la violence d’Al-Shabaab ait légèrement diminué en 2024, son mode d’activité a changé et les menaces et attaques contre la sécurité du groupe dans le pays restent très élevées.
Nombre d’attaques en janvier 2025 : 73
Zone:
Cibles : Forces spéciales somaliennes, forces spéciales Danaab, armée somalienne, armée éthiopienne, armée ougandaise, armée kenyane, milices pro-gouvernementales somaliennes, police somalienne, services de renseignement somaliens.
Les médias officiels al-Kataib Media et al-Shahada News ont diffusé de la propagande, des photos, des vidéos et des allégations. Le groupe a publié 52 déclarations revendiquant ses activités militaires. Ce mois-ci, il a cependant publié très peu d’images et de vidéos.
Conclusion : Évaluation des menaces à la sécurité
Malgré le déclin de ses activités, l’insurrection d’Al-Shabaab a fait preuve de résilience et demeure le principal défi sécuritaire dans une Somalie déchirée par la guerre. Al-Shabaab continue de contrôler de nombreuses zones du pays et de lancer des attaques meurtrières contre les forces internationales et les civils dans la région. Les cibles sont multiples, les types d’attaques sont nombreux, les victimes provoquées sont en augmentation et les attaques sont plus sophistiquées. Le groupe est loin d’être en retard, malgré les efforts considérables déployés contre le terrorisme au cours des deux dernières années.
Syrie : le pouvoir dévoile (en partie) ses intentions
Le nouveau maître de Damas, Ahmed al-Charaa, a donné le 29 décembre à la chaîne Al Arabiya une interview qui mérite notre attention [1] . Elle donne (quelques) éclairages sur ses intentions. Il convient de les considérer avec précaution, car le leader du groupe Hayat Tahrir al Cham (HTC ou HTS), principale faction qui a renversé Bachar el Assad, maîtrise sa communication dont il ne faut pas être dupe, avec une redoutable habileté.
Quelques acteurs ciblés
Nous n’analyserons pas ici les relations du nouveau pouvoir syrien avec ses voisins ni avec la communauté internationale mais cette interview a délivré quelques messages forts à plusieurs acteurs-clés. En premier lieu, notons une (relative) défiance à l’égard de Téhéran [2] qui digère très mal le remplacement de Bachar el Assad (un coup dur). Al-Charaa enjoint fermement à Téhéran de changer complètement d’attitude et on sent une pointe de regret que l’Iran n’ait pas plus rapidement affiché une volonté plus claire à cet égard. La porte n’est pas fermée pour autant. Il est vrai que la République islamique a subi, avec le Hezbollah, un énorme revers d’une ampleur stratégique et que l’on ne peut espérer d’elle un virage à 180° instantané. Il faut dire que la période de transition qui s’ouvre a mal débuté pour l’Iran : des violences ont été perpétrées contre son ambassade à Damas (dont le porte-parole a été tué) et Ahmed al-Charaa a signifié très directement à l’Iran que sa période d’implication en Syrie est révolue [3]. Du côté iranien, où l’embarras est grand, on observe une difficulté à définir les modalités d’un éventuel dialogue avec le nouveau pouvoir, Téhéran avouant ne pas avoir eu de contacts directs avec le groupe HTC mais avec d’autres factions [4]. Pour l’heure, l’Iran semble adopter une attitude prudente et attentiste, comme en témoigne l’évaluation sobre et factuelle des enjeux, des premières réussites, mais aussi des défis du nouveau pouvoir syrien, publiée le 29 décembre par Nour News, média proche du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale [5]. Se bornant à inviter Damas à préserver la stabilité du pays et résister aux « ingérences étrangères », Téhéran peine à franchir le pas pouvant conduire à une sorte de reconnaissance du successeur de Bachar el Assad [6] ; Kamal Kharrazi, un des conseillers écoutés du Guide, a déclaré que l’attitude iranienne dépendra du comportement des nouveaux responsables syriens [7] . Ceux-ci n’ont pas davantage de contacts organisés avec Téhéran pour un dialogue de fond [8].
Une des surprises de l’interview d’al-Charaa est un appel du pied à la Russie dont le nouveau maître de Damas dit « comprendre les intérêts » [9]. Il donne l’impression de vouloir entamer un dialogue avec Moscou. C’est inattendu mais reflète visiblement son réalisme. Malgré le « triomphe » inachevé (soulignons-le), il sait que son pouvoir est fragile, que le contrôle de tout le pays est encore en chantier (le sort des Kurdes sommés de ‘s’intégrer’ est incertain si ce n’est menacé pour ceux qui s’y refusent) [10] et que la Russie, bien que défaite, possède des capacités de nuisance. De même qu’il a évité de réagir brutalement aux opérations israéliennes [11] qui le contrarient beaucoup (ne le négligeons pas), il sait qu’il ne peut multiplier ennemis et fronts [12]. Peut-être compte-t-il, d’ailleurs, sur la Russie, pour faire un certain contrepoids à l’Etat hébreu. Nous ne le savons pas mais il n’est pas interdit de se poser cette question.
Enfin, il faut relever les messages appuyés du nouveau leader syrien en direction de l’Arabie saoudite qualifiée de modèle dans l’interview et invitée à jouer un rôle important dans la reconstruction syrienne [13]. Nul doute que MBS exigera des garanties de la part du nouveau régime avant d’engager quelque financement que ce soit. Mais s’il les obtient, ce sera une opportunité pour le royaume de disposer d’un puissant levier qui dépasse le seul cadre syrien mais concernera le Liban et la région. Signe du caractère prioritaire des futures relations syro-saoudiennes, Asaad Hassan al- Shibani, ministre syrien des Affaires étrangères, qui avait annoncé : « Nous entendons bâtir des relations stratégiques avec l’Arabie saoudite dans tous les domaines » [14], s’est rendu à Riyad ce premier janvier, à l’invitation de son homologue saoudien, accompagné du ministre de la Défense Murhaf Abu Qasra et du chef des services de renseignements Anas Khattab. Le diplomate syrien a déclaré vouloir ouvrir une « nouvelle et brillante page » avec le royaume. On devine que la stabilisation du pays est au centre des discussions et que Damas a besoin d’une aide d’urgence, puis d’une assistance pour la reconstruction. De son côté, comme nous l’indiquions plus haut, le royaume a besoin de garanties de la part de ses interlocuteurs syriens, en particulier pour la constitution d’un état ‘normal’, la renonciation aux actions violentes à l’intérieur comme à l’extérieur, sans oublier l’extinction de la production et de la commercialisation du très nocif captagon qui finançait le clan Bachar al-Assad et pourrissait la région. Le mois dernier, une délégation saoudienne de haut niveau s’était rendue à Damas pour rencontrer Ahmed al-Charaa pour préparer ces discussions. Ce même jour, Riyad a annoncé le début d’un pont aérien humanitaire avec la Syrie pour livrer de la nourriture, des médicaments, des abris aux populations sinistrées.
Le nouveau maître de Damas a invité Trump à changer l’attitude de l’administration américaine et appelle à la levée des sanctions. Une délégation américaine a déjà rencontré des responsables de HTS et a qualifié de positifs les premiers échanges de vues. Le futur locataire de la Maison Blanche optera-t-il pour le dialogue ou la confrontation ?
La démocratie… attendra ?
Mais ce sont les propos d’al-Charaa sur la transition politique qui ont retenu l’attention et suscitent une certaine inquiétude, notamment parmi la population chrétienne. Il indique qu’il faudra 3 ans pour préparer une nouvelle constitution, et, surtout, que les élections ne seront pas organisées avant 4 ans. Ceci jette une lumière crue sur le caractère démocratique du nouveau pouvoir. Parmi les précisions intéressantes, une distinction subtile : il a indiqué que le gouvernement transitoire n’a pas encore été constitué et que l’actuel exécutif n’est là qu’à titre tout à fait provisoire, en quelque sorte ad interim (caretakers) [15]. Il balaie l’objection du caractère lourdement ‘monocolore HTS’ (dont la seule exception est le ministre de l’Economie de Bachar al-Assad resté en poste) de ce dernier. Il annonce la convocation d’une Conférence de Dialogue National.
Par souci de rigueur, il convient de garder présente à l’esprit une donne essentielle de l’héritage du raïs syrien, mal connue. Bachar al-Assad a réussi l’exploit d’éliminer toute véritable opposition politique authentiquement représentative. Les personnalités connues en Occident sont souvent des exilés dont une partie notable n’a pas d’assise politique en Syrie, certains ne représentant guère qu’eux-mêmes en dépit de leur présence médiatique. Ceci était très flagrant dans les réunions organisées par les ‘blocs’ concurrents respectivement russe et saoudien où les deux puissances ont essayé en vain de composer des équipes ‘représentatives’ (= qui leur soient favorables). L’échec de ces démarches opposées ne s’explique pas seulement du fait de ces lourds parrainages mais largement par l’absence d’interlocuteurs reflétant authentiquement les courants syriens et la société civile. La conférence annoncée comblera-t-elle ce vide ? La question est entière. Sur la place future de HTS, nous relevons ce propos de son chef : « La dissolution de Hay’at Tahrir Al-Sham (HTS) sera annoncée lors de la Conférence de dialogue national ».
Ne nous méprenons pas quant à la signification de cette déclaration. Comme nombre de mouvements islamistes, HTS veut profiter du vide du pouvoir pour s’y substituer. Ce fut le cas pour les Frères musulmans lors de leur naissance en Egypte, puis du Front islamique du Salut en Algérie, qui gagna les élections sur les ruines de l’état FLN avant d’être réprimé dans le sang. Pareillement, le Hezbollah s’est inséré dans la société libanaise non seulement dans la communauté chiite, mais au-delà, en prenant la place d’un Etat absent, et créant des hôpitaux, écoles, services sociaux… Il est devenu ainsi un acteur incontournable doté d’une légitimité politique et sociale. Aujourd’hui, le Hezbollah replié de Syrie, fait face au choix difficile de sa reconversion.
Il est donc concevable que HTS mue d’un groupe combattant en une faction qui entend contrôler la société syrienne. Comme le savent bien les spécialistes des mouvements islamistes, la vocation d’HTS n’est pas de conquérir une région mais d’instaurer hic et nunc une nation islamique en Syrie. Le premier discours d’al-Charaa à la mosquée des Omeyyades à Damas en témoigne quand il proclame la « victoire de la nation islamique » [16]. Le mot ‘nation’ a toute son importance. Il reste que le sort des minorités est largement inconnu. Les alaouites, même se déclarant étrangers au régime de Bachar al-Assad, connaissent des moments qui s’annoncent difficiles, une période de purge s’ouvre.
Une urgente mise au point opportune pour répondre à ces questions
Conscient des interrogations que ces enjeux soulèvent, et pour répondre aux inquiétudes et doutes que nous avons décrits plus haut, al- Shibani, dans une très importante interview donnée à Al Jazeera le 31 décembre [17] présente les principales orientations de la politique syrienne, non seulement à l’égard de la région comme des puissances extérieures, mais aussi sur la conception du régime à l’égard des minorités et du respect de la démocratie. Il a solennellement confirmé que le nouveau pouvoir garantira leur liberté à toutes les religions et que la future organisation politique sera véritablement représentative des citoyens. La Conférence de Dialogue National devrait commencer ses travaux ce mois de janvier. L’ampleur des thèmes abordés atteste le poids considérable de ce ministre qui devient ainsi une des principales voix de l’équipe dirigeante syrienne. Dans un langage clair il définit la nouvelle Syrie comme un pôle d’équilibre priorisant des relations harmonieuses avec ses voisins à la condition impérative qu’ils s’abstiennent d’ingérences dans le pays. Avec la Russie, il indique qu’un dialogue positif peut s’instaurer pouvant mener à des relations constructives. A l’égard de l’Iran, si celui-ci change radicalement d’attitude, des relations apaisées sont concevables. Mais une certaine réserve est perceptible. Avec Israël, il est nécessaire d’entamer des discussions, notamment sur la situation délicate du Golan. Selon le ministre, la Syrie n’a pas d’a priori à l’égard des Etats-Unis, comme cela a été indiqué à la délégation américaine rencontrée à Damas. Mais il y a un point capital à traiter avec la future administration Trump : la levée des sanctions sans laquelle le redressement de l’économie est impossible. Elles avaient une raison d’être à l’encontre de Bachar al-Assad. Elles ne sont plus justifiées. Deux Etats auront une place primordiale pour la Syrie de demain : l’Arabie saoudite qui sera un partenaire privilégié, en particulier pour la reconstruction du pays, et la Turquie, dont le soutien fidèle fait une alliée qui compte. S’agissant des Kurdes, al-Shibani indique que Damas les considère comme faisant partie de la communauté syrienne (= pas de séparatisme), mais on comprend qu’il se soucie de leur situation humanitaire et que des discussions sont engagées avec eux.
Une crédibilité à valider par les actes
Que penser de cette interview ? Indiscutablement, c’est un exercice de communication qui témoigne d’un réel professionnalisme chez le ministre dont on remarquera qu’il n’a pas esquivé les questions et qu’il a choisi un langage réfléchi et clair. Le choix d’Al Jazeera dont on connaît l’influence dans le monde arabe et au-delà, n’est pas anodin. Sur le fond, cet entretien est annoncé comme visant à présenter les principales orientations des successeurs de Bachar al-Assad. A cet égard, ce sont surtout des grandes orientations, des principes très généraux, une ‘philosophie’ qui ont été énoncés. Peu de précisions ont été apportées, l’impression prévaut que le nouveau pouvoir veut avancer ses pions prudemment, ce qui est compréhensible, vu que le pays n’est pas stabilisé. Il s’agit de propulser une image de ‘responsable’, ‘raisonnable’, soucieux de tranquillité intérieure et d’harmonie dans ses relations extérieures. Un certain nombre d’attitudes et postures futures sont la confirmation de celles déjà présentes dans les déclarations d’al-Charaa (Russie, Iran, Arabie saoudite). En revanche, il est évident que les questions insistantes de l’interviewer sur le respect des minorités religieuses, de la démocratie, ainsi que les réponses particulièrement claires de l’interviewé, ont vocation première à dissiper l’inquiétude de la communauté internationale, des voisins, ainsi que des alliés et futurs bailleurs de fonds. Il y avait en effet une double urgence à cela : l’impression mitigée causée par le caractère monolithique du nouveau pouvoir, par certains incidents à caractère sectaire, etc, imposait à celui-ci de la corriger très rapidement, singulièrement au moment où il va solliciter de l’aide pour sa survie et la reconstruction du pays. Au bout du compte, l’observateur est obligé de prendre note de cette mise au point. Quel crédit lui accorder ? Seuls les actes dans les semaines et mois à venir permettront de se former une opinion. L’objectivité commande de reconnaître que la posture des acteurs extérieurs jouera un grand rôle dans la confirmation ou l’évaporation de ce catalogue d’intentions. D’ores et déjà, l’Arabie saoudite apparaît comme un ‘grand frère’ dont beaucoup dépendra. MBS, comme on le voit dans les deux crises (entre les Palestiniens et Israël, entre l’Etat hébreu et l’Iran), agit avec prudence avec un jeu d’équilibre fédérateur. Le royaume priorise une baisse de la tension régionale, condition indispensable au déploiement de son Plan Vision 2030. Le rôle de la Turquie sera sans doute conséquent (au vu des services rendus) mais nous ne percevons pas précisément son périmètre, notamment sur le dossier critique des Kurdes. L’esquisse (très préliminaire) de dialogue entre Ankara et Ocalan (le leader du PKK) est -il un élément du puzzle ? Sans doute, de délicates discussions seront engagées sur ce même sujet avec Washington. En tout cas, le nouveau ministre syrien des Affaires étrangères est en train d’asseoir sa stature de diplomate en chef.