par | Avr 6, 2025 | Moments d'histoire
Le navire russe SS-750 : un outil d’action secrète ?
En septembre 2022, le navire de soutien sous-marin SS-750 de la marine russe a été observé près du gazoduc Nord Stream, quatre jours seulement avant que le conduit sous-marin ne soit la cible d’un sabotage. Cela a ravivé l’intérêt pour ce SS-750, peu connu, présenté comme un navire de sauvetage et de sauvetage de sous-marins. Il transporte un mini-sous-marin AS-26 et une grue sous-marine, tous deux susceptibles d’être utilisés dans des opérations de sabotage subaquatique. Il appartient à la classe de navires auxiliaires Kashtan (ASR).
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Images provenant de : Viktor Maksimenko , Alex Omen , Service de presse du district militaire occidental , George Chernilevsky
Contenu : SS-750 avec sous-marin AS-26 attaché Source : Wikipédia
1 Organisation
1.1 Place au sein de l’armée russe plus large
Le SS-750 est l’un des navires tactiques de la marine russe. Il embarque un sous-marin lui permettant d’atteindre une plus grande portée lors des opérations sous-marines. La marine russe contrôle les mouvements du SS-750.
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2 Équipement
2.1 Commission du navire SS-750

Contenu : Navire SS-750 Source : wikipedia
Le SS-750 a été lancé en 1998 et mis en service en 1990 sous le nom de « KIL-140 ». Il est issu du projet 141 de la marine soviétique, qui a produit huit navires de classe Kashtan à l’usine Neptun de Rostock, en Allemagne de l’Est. Le SS-750 est classé comme navire de sauvetage. Tous les navires de classe Kashtan sont des navires-grues. Aujourd’hui, ils sont des ravitailleurs de la marine russe. Les sept autres navires sont : KIL-926, KIL-927, KIL-143, KIL-158, KIL-164, KIL-498 et KIL-168.
2.2 Spécifications du SS-750
Le SS-750 peut accueillir 47 personnes. Il est équipé d’un système de propulsion diesel-électrique (moteurs diesel reliés à un générateur électrique qui entraîne les hélices).
- Les navires disposent de cinq générateurs diesel de 775 kW, de trois générateurs diesel de 400 kW et de deux moteurs électriques de 1 500 ch qui alimentent des hélices à deux pas.
- Longueur de 97,83 mètres
- Tirant d’eau de 5,7 mètres
- Largeur de 18,2 mètres
- Vitesse de pointe de 13,5 nœuds
- Autonomie de 3 700 kilomètres
- Le SS-750 a un déplacement de 4200 tonnes avec une charge standard et un déplacement de 6200 tonnes avec une pleine charge.
- Proue brise-glace
- Chambre hyperbare.
Les navires de la classe Kashtan disposent d’une vaste zone de travail centrale avec un portique d’une capacité de cent tonnes situé à l’arrière. Le SS-750 est également équipé d’une grue électrohydraulique de douze tonnes, capable de soulever cent tonnes, à tribord, et d’une flèche de soixante tonnes au milieu. Grâce à des travaux de modernisation, le SS-750 est désormais équipé d’un radar de navigation MR-231 Pal-N.
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2.3 Sous-marin AS-26

Contenu : Sous-marin AS-26 Source : wikipedia
L’AS-26 est un véhicule de sauvetage en submersion profonde (DSRV) de classe Priz qui a été mis en service en 1987.
- Longueur de 13,5 mètres
- Hauteur de 4,6 mètres
- Une vitesse maximale de 3,3 nœuds
- Une autonomie de 39 kilomètres
- Profondeur de 1 000 mètres
- Bras manipulateur capable de soulever 50 kilogrammes.
Ce mini-sous-marin peut fonctionner jusqu’à cent vingt heures. L’équipage est composé de quatre personnes, mais vingt personnes supplémentaires peuvent être embarquées. Avec vingt-quatre personnes à bord, le sous-marin a une capacité opérationnelle de dix heures.
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3 opérations tactiques
Le SS-750 a été principalement repéré en mer Baltique. Ses opérations militaires se sont déroulées près de Bornholm, au Danemark. Pour un aperçu plus détaillé des mouvements et des opérations du SS-750, consultez les liens vidéo suivants :
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3.1 Gazoduc Nord Stream
Le 26 septembre 2022, des explosifs ont endommagé trois des quatre gazoducs Nord Stream. Ces gazoducs relient l’Allemagne à la Russie et traversent la mer Baltique. Quatre jours plus tôt, le navire russe SS-750 avait été repéré à proximité des gazoducs. Le SS-750 a quitté la base navale de Baltiisk le 21 septembre 2022, probablement accompagné des remorqueurs Aleksandr Frolov et SB-123. À ce moment-là, le SS-750 naviguait avec son système d’identification automatique (AIS) désactivé. Les deux autres navires ont maintenu leur AIS activé jusqu’à leur approche du nord-est de Bornholm.
Plus tard, le 21 septembre 2022, l’armée danoise a envoyé le patrouilleur P524 Nymfen enquêter sur les mouvements éventuels des navires. Le commandement de la défense danois a confirmé ultérieurement la présence du SS-750 sur les lieux. Bien que les autorités scandinaves aient émis des hypothèses sur la responsabilité russe dans l’attaque, la Russie a nié ces allégations et les autorités scandinaves n’ont attribué aucune responsabilité particulière. La réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui s’est tenue le 26 septembre 2022, n’a donné aucun résultat supplémentaire quant à l’origine de l’explosion. L’enquête allemande sur cette affaire s’est concentrée sur d’autres suspects fin 2024.
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3.2 Essais en mer
Un essai en mer consiste à tester des navires en pleine mer afin de déterminer leurs capacités et leur fonctionnalité. Le SS-750 de classe Kashtan accompagne d’autres navires lors de leurs essais en mer en tant que navire de sauvetage depuis 2021. Le SS-750 a assuré la sécurité de divers sous-marins, dont le Mozhaysk, l’Ufa et le Kronstadt. Ces essais ont principalement eu lieu en mer Baltique.
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4 L’avenir
Les capacités sous-marines et tactiques de ce navire lui permettent d’effectuer des manœuvres en haute mer et des opérations tactiques. Sa présence autour des gazoducs Nord Stream a suscité un intérêt accru pour son utilisation potentielle comme véhicule de sabotage dans le cadre des opérations secrètes (guerre hybride) du Kremlin. Il est probable que le SS-750 continuera d’être utilisé dans diverses missions grâce à ses capacités uniques. Sept autres navires ont été mis en service dans le cadre du Projet 141. Bien que certains de ces navires aient été aperçus après leur mise en service, leurs capacités opérationnelles actuelles et futures restent incertaines. L’ampleur de leur utilisation pour des opérations tactiques dépendra des actions du gouvernement russe et de ses plans militaires.
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5 Conclusion
Le SS-750 est un navire de sauvetage de sous-marins équipé d’un petit sous-marin et d’une grue. Il fait partie de la marine russe et est conçu pour les opérations de sauvetage et de sauvetage sous-marins, mais il est également capable de saboter les infrastructures sous-marines, telles que les pipelines, les câbles, etc. Ce navire a été repéré à proximité d’opérations de sabotage contre les pipelines Nord Stream dans les quatre jours suivant l’attaque. Le SS-750 a désactivé son système d’identification électronique alors qu’il se trouvait dans la zone, mais les enquêtes n’ont confirmé aucune implication dans l’opération de sabotage.
par | Avr 6, 2025 | Moments d'histoire
Le soft power russe en Afrique : exploiter l’accès aux soins de santé
L’influence russe sur le continent africain s’est accrue à mesure que l’implication occidentale s’est atténuée, notamment sur le plan médical. La Russie s’est engagée en faveur du développement de l’Afrique et de ses relations diplomatiques lors du premier sommet russo-africain en 2019. Cette attention accrue portée à l’Afrique constitue également une tentative stratégique de contourner les sanctions occidentales et de nouer de nouvelles relations dont la Russie pourrait tirer profit à l’avenir. La diplomatie sanitaire permet à la Russie d’accroître son influence sur le continent africain de manière subtile, mais efficace.
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Images provenant de : ROSCONGRESS , Emergency LIVE , Brookings , EURACTIV
1 Motivations
Les efforts de la Russie pour s’impliquer davantage sur le continent africain ont plusieurs motivations. D’une part, les avantages économiques liés à l’établissement de liens étroits avec divers pays du continent africain permettent de contourner les sanctions et d’accéder à d’importantes ressources. D’autre part, l’isolement politique persistant de la Russie ouvre la voie à de nouvelles relations avec des pays qui ont exprimé un sentiment anti-occidental.
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2 initiatives
La Russie mène diverses initiatives sur le continent africain afin d’accroître son influence et son soft power diplomatique. Nombre de ces initiatives consistent en des partenariats stratégiques qui vont au-delà de l’amélioration de l’accès aux soins de santé. Outre son rôle de partenaire stratégique dans le secteur de la santé, la Russie exploite également le sentiment anti-occidental en Afrique pour consolider son implication.
2.1 Étude de cas : Ouganda

Source : Wikipédia
La coopération entre l’Ouganda et la Russie est apparemment fondée sur la recherche de solutions aux défis de biosécurité et aux préoccupations sanitaires. Les thèmes abordés par la Commission mixte permanente Ouganda-Russie vont de l’économie à la formation militaire en passant par la médecine. Dans le domaine médical, les initiatives russes comprennent le soutien au secteur médical ougandais, l’amélioration des solutions de biosécurité et de la réponse aux pandémies, ainsi que la surveillance médicale. La Russie fournit des laboratoires mobiles pour répondre aux besoins médicaux. Pendant la pandémie de COVID-19, les vaccins ont constitué une part importante de l’aide sanitaire apportée par la Russie. La Russie a pu combler le manque de vaccins car les pays occidentaux, qui fournissaient auparavant une aide médicale, n’étaient pas en mesure de répondre à la demande.
L’Ouganda constitue également un choix stratégique pour le soft power russe en raison de son rôle de leader au sein du Mouvement des non-alignés et de son adhésion à l’ONU. L’Ouganda et la Russie ont constamment soutenu leurs propositions respectives à l’ONU. De plus, le président Museveni est un dirigeant de haut rang qui entretient de nombreuses relations avec d’autres pays africains. Plus concrètement, l’Ouganda et la Russie prévoient la construction de deux centrales nucléaires d’ici 2031 et ont conclu un pacte de défense. Ainsi, l’intégration et la coopération avec l’Ouganda contribuent à promouvoir l’influence de la Russie sur tout le continent.
Le soutien de la Russie permet à l’Ouganda de renforcer son expertise dans le secteur de la santé en Afrique. Il lui offre également un partenaire diplomatique à un moment où le gouvernement de Museveni est critiqué pour ses pratiques antidémocratiques.
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2.2 Vaccin contre le paludisme
En 2022, le Kremlin a lancé une campagne de désinformation contre un nouveau vaccin contre le paludisme (RTS,S) déployé par le gouvernement britannique en Afrique. L’Initiative africaine est le principal promoteur du discours négatif contre ce vaccin. D’autres facilitateurs de cette désinformation sont des influenceurs et blogueurs pro-russes influents sur des plateformes allant de Telegram à X. Des diplomates et des membres des services de renseignement spéculent que l’objectif de cette campagne de désinformation est de propager l’idée que l’Occident développe des vaccins et des armes biologiques dangereux.
Cette tactique n’est pas nouvelle. En effet, à l’époque soviétique, le KGB a lancé des campagnes de désinformation anti-occidentales sur le sida. Ces campagnes s’appuyaient également sur des individus locaux pour diffuser plus efficacement leur message.
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2.3 COVID et vaccin Spoutnik V
En 2020, la Russie a tenté de vendre de grandes quantités du vaccin contre la COVID-19 Spoutnik V à divers pays africains. Cependant, le vaccin n’a pas rencontré le même succès que d’autres vaccins créés par d’autres pays, et ce pour diverses raisons. Parmi celles-ci figurent les obstacles à la production et à la logistique, les inquiétudes réglementaires entourant le vaccin et sa production, et l’absence de relations diplomatiques et institutionnelles établies au-delà du cadre commercial. L’évolution des relations diplomatiques bilatérales entre le Kremlin et l’Afrique trouve son origine dans la diminution de l’aide apportée à l’Afrique après la dissolution de l’Union soviétique.
Les efforts de promotion du vaccin Spoutnik V ont inclus une campagne de relations publiques mondiale. Le vaccin a été présenté comme un « vaccin pour l’humanité ». Bien que la Russie ait présenté la campagne de vaccination comme un succès retentissant, plusieurs pays africains, comme le Kenya et la Namibie, ont cessé de l’utiliser en 2021 en raison de préoccupations liées à sa sécurité.
La Fondation Carnegie a émis l’hypothèse que l’influence croissante de la Russie sur le continent africain repose davantage sur des gestes et des campagnes symboliques que sur la réalisation d’objectifs ou de promesses politiques. Un exemple de cela s’est produit en Angola. Début 2021, Luanda prévoyait d’acheter et de recevoir 12 millions de doses du vaccin Spoutnik V, mais n’en a reçu que 40 000 à l’été 2021. De plus, les analystes de la Fondation Carnegie spéculent que le déficit d’aide humanitaire causé par le retrait des pays occidentaux a permis à la Russie d’accroître ses opérations en Afrique.
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3 L’avenir
La Russie continuera de renforcer ses relations avec différents pays africains afin de recueillir davantage de soutien au sein de l’ONU et de peser dans les négociations futures. Ces nouvelles relations lui permettront également de nouer de nouveaux partenariats commerciaux et d’accéder à des ressources hors sanctions. Dans ce contexte, Moscou poursuivra probablement ses tentatives de discréditer l’aide humanitaire et les innovations médicales occidentales. L’Afrique deviendra une variable géopolitique et économique de plus en plus importante dans les relations internationales de la Russie.
4 Conclusion
La Russie a accru son influence sur le continent africain de diverses manières. Cependant, son soutien à l’aide médicale est essentiel à sa stratégie visant à nouer de nouvelles relations diplomatiques avec l’Occident. De nombreuses opérations ont été menées dans plusieurs pays, allant au-delà de l’aide médicale, et incluant des opérations de désinformation. Le Kremlin a exploité le sentiment anti-occidental et les acteurs locaux pour promouvoir son aide médicale et son influence.
par | Avr 6, 2025 | Moments d'histoire
Le Triangle d’or : un modèle asiatique de criminalité transfrontalière
1 Aperçu de la région
Le Triangle d’Or est le nom de la zone frontalière poreuse et sans loi où convergent la Birmanie, le Laos et la Thaïlande. Elle est depuis longtemps connue comme une plaque tournante de la criminalité transnationale et des activités illicites, notamment le trafic de drogue, la traite des êtres humains, le blanchiment d’argent, le trafic d’espèces sauvages et, désormais, la cybercriminalité. Les organisations criminelles ont su s’adapter aux évolutions politiques et économiques de la région, s’y enracinant profondément. Les capacités et les politiques des États impliqués dans la zone sont limitées, créant un environnement propice au développement des activités illicites. Des zones présentant des caractéristiques similaires, comme la frontière amazonienne , présentent des problèmes similaires. Cela montre que les zones frontalières poreuses et ingouvernables méritent une attention particulière dans la lutte contre la criminalité transnationale.
Géographiquement, la zone s’étend autour du confluent du Mékong et du Ruak. Le terrain accidenté et boisé complique les efforts de contrôle. De plus, grâce à sa situation stratégique, elle peut servir de corridor entre l’Asie du Sud-Est et les marchés mondiaux pour les acteurs nationaux, comme la Chine.
2 Contexte historique : l’opium comme activité principale
La région du Triangle d’Or est depuis longtemps associée au trafic de drogue et à la production d’opium et d’héroïne. Le terme « Triangle d’Or » a été inventé pour décrire les niveaux alarmants de culture rentable d’opium. Le secrétaire d’État adjoint américain Marshall Green est largement considéré comme l’initiateur de cette appellation, apparue en 1971.
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2.1 Les origines de la culture de l’opium
La culture du pavot à opium est historiquement typique des groupes autochtones, qui l’utilisent à des fins médicinales et rituelles. Néanmoins, les puissances coloniales ont réorienté cette tendance vers les marchés internationaux, augmentant la production tout au long du XIXe siècle. Le XXe siècle a été un tournant, notamment dans sa seconde moitié, lorsque la demande d’héroïne a explosé après la Seconde Guerre mondiale et pendant la guerre du Vietnam. C’est à cette époque que l’économie du Triangle d’Or est passée du commerce de l’opium à une industrie de production d’héroïne à grande échelle.

2.2 La montée en puissance du XXe siècle
La production annuelle d’opium a atteint entre 300 et 600 tonnes dans les années 1950, si l’on ne considère que la partie birmane du Triangle d’Or. Cette augmentation s’explique notamment par l’implication des forces du Kuomintang (KMT), troupes de l’armée de la République de Chine. Ces forces, en retraite dans la région, ont incité les agriculteurs à améliorer la culture de l’opium, allant même jusqu’à taxer leur production.
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2.3 Les années 2000 – Déclin et résurgence
Des rapports de 2003 du Service d’information des Nations Unies ont souligné un déclin de la culture du pavot à opium dans le Triangle d’Or. Les régions du Myanmar et du Laos ont enregistré une baisse de 24 % et 15 % de leurs cultures par rapport à l’année précédente, avec environ 2 000 hectares de moins consacrés au pavot à opium par rapport à 2002. Ces données ont suscité un certain optimisme, reconnaissant les efforts d’éradication déployés et les programmes de développement mis en œuvre dans la région. Néanmoins, cette période a coïncidé avec une hausse de la production de drogues synthétiques, ce qui a freiné cet optimisme.
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Des développements plus récents indiquent une forte résurgence de la production d’opium et de l’activité criminelle dans le Triangle d’Or. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a signalé en 2022 une augmentation de 33 % des superficies cultivées au Myanmar. Ceci est associé à une hausse potentielle de 88 % de la production par rapport aux années précédentes. Cette augmentation s’est poursuivie régulièrement pendant trois années consécutives, à partir de 2021. On avance que des facteurs récents, notamment le coup d’État militaire de 2021 au Myanmar, les difficultés économiques découlant des sanctions et la pandémie de COVID-19, ont conduit à un retour à la culture de l’opium. Apparemment, la croissance s’est stabilisée en 2024, mais le Myanmar reste si instable qu’un retour à la hausse ne serait pas inattendu.
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Le Triangle d’Or est un lieu crucial pour les activités illicites. Historiquement, le trafic de drogue autour du pavot à opium en a été l’activité principale. Néanmoins, l’interaction entre l’instabilité politique de la région, les difficultés économiques et les réseaux criminels établis pour le trafic d’opium et d’héroïne a facilité l’essor d’autres activités illicites.
3 autres activités illicites dans le Triangle d’or
Comme le montrent les informations présentées ci-dessus, la production d’opium a toujours été au cœur des activités illicites dans le Triangle d’Or. Néanmoins, diverses activités criminelles se sont développées et propagées dans la région.
3.1 Drogues synthétiques
La production de drogues synthétiques dans le Triangle d’Or, notamment de méthamphétamine, est une autre activité criminelle importante. Mise en évidence par l’ONUDC dans les années 1990, elle a récemment connu une forte augmentation et est particulièrement répandue dans l’État Shan, au Myanmar. Le trafic de drogues se ferait, semble-t-il, à travers l’Asie du Sud-Est et au-delà. L’ONUDC affirme que la région est un important corridor de trafic de drogue. Les drogues synthétiques provenant de cette région atteignent et affectent la région Asie-Pacifique jusqu’au Japon et à la Nouvelle-Zélande.
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3.2 Traite des êtres humains
Le GovernmentAccountability Office (GAO) des États-Unis rapporte que le crime organisé transnational profite de la faiblesse de la gouvernance et de l’instabilité pour se livrer à la traite à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé. Les offres d’emploi attirent les populations vulnérables, qui se retrouvent dans des conditions d’exploitation et de semi-esclavage. Les récits de traite d’êtres humains dans la région du Triangle d’Or sont connus et confirment la théorie du GAO. Un exemple médiatisé est celui de la citoyenne malaisienne Rachel Yoong, attirée dans la région en 2022 avec une fausse offre d’emploi et séquestrée.
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3.3 Trafic de ressources naturelles
La région du Triangle d’Or est également un lieu important pour le trafic d’espèces sauvages et de produits dérivés. Elle sert de point de transit vers le marché chinois et d’autres régions d’Asie. Le rapport 2020 du Groupe d’action financière (GAFI) sur le blanchiment de capitaux et le commerce illicite d’espèces sauvages souligne la manière dont les organisations criminelles transnationales se livrent souvent à de multiples activités illicites dans des régions clés, maximisant ainsi leurs profits. Par ailleurs, l’État Shan, au Myanmar, est un haut lieu de la contrebande de bois , dont la majeure partie est d’abord dirigée vers la Chine et l’Inde, puis vers les marchés internationaux une fois rendue indétectable.
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3.4 Blanchiment d’argent
Les organisations criminelles utilisent des stratagèmes de blanchiment sophistiqués dans le Triangle d’Or. Le casino Kings Romans, situé dans la Zone économique spéciale (ZES) du Triangle d’Or au Laos, en est un exemple frappant. Ce qui se passe dans ce casino semble être une démonstration flagrante de blanchiment d’argent. Le casino et ses environs ont été construits par le chef du crime chinois Zhao Wei. Il a été sanctionné en 2018 par le Département du Trésor américain pour son implication dans des activités illicites. L’existence du système bancaire clandestin chinois facilite également ce type d’activités.
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3.5 Cybercriminalité
Récemment, des opérations de répression ont révélé des activités de cybercriminalité dans la région. Diverses escroqueries en ligne génèrent des revenus illicites pour le crime organisé. Les auteurs de ces escroqueries sont le plus souvent victimes de la traite des êtres humains, ce qui illustre une fois de plus l’interdépendance des activités criminelles transnationales. Des efforts coordonnés entre la Thaïlande, la Chine et le Myanmar ont récemment tenté de résoudre ce problème dans le Triangle d’Or et ses environs.
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4 acteurs clés
Pour mieux saisir la complexité du Triangle d’Or, il est essentiel de comprendre les acteurs impliqués dans la région, qu’ils soient affiliés à l’État ou qu’ils soient des entités criminelles.
4.1 Organisations criminelles
4.1.1 Zhao Wei
La principale organisation criminelle transnationale implantée dans le Triangle d’Or est liée au magnat chinois des casinos Zhao Wei. Elle est impliquée dans divers crimes, notamment le trafic de drogue, d’êtres humains et d’espèces sauvages, ainsi que la corruption et le blanchiment d’argent. Son champ d’action est la ZES laotienne, où le casino Kings Roman et ses environs constituent un pôle de criminalité et de blanchiment d’argent. Malgré les efforts déployés pour limiter son influence et les sanctions imposées par des acteurs internationaux, notamment les États-Unis (et potentiellement de nouveaux pays de l’UE), l’organisation est si bien implantée que ses activités ont résisté à la surveillance.

Zone économique spéciale (ZES) du Triangle d’or
4.1.2 État Shan et UWSA
Du côté birman, et plus particulièrement dans l’État Shan, la criminalité est liée aux insurgés et aux milices. Selon les autorités thaïlandaises, ces groupes armés se coordonnent avec les réseaux criminels et créent des « super laboratoires ». L’ Armée unie de l’État Wa du Myanmar (UWSA) est un acteur clé de ces activités.
Les drogues synthétiques sont produites en quantités de plus en plus importantes, notamment la méthamphétamine et le crystalmeth. Les saisies de drogue effectuées par les autorités thaïlandaises en 2024 (+172 % pour les comprimés de meth ; +39 % pour le crystalmeth) et la chute des prix de la drogue à environ un huitième de leur niveau d’il y a dix ans témoignent de cette augmentation, signe d’une forte disponibilité et d’une demande soutenue.
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État Shan (Myanmar)
4.2 Acteurs étatiques : complicité ?
L’implication des acteurs étatiques dans le Triangle d’Or est complexe. Parfois, les autorités locales et étatiques ferment les yeux et favorisent les activités illicites, tandis que d’autres tentent de garder le contrôle des forces de l’ordre.
4.2.1 Laos
L’autonomie significative de la ZES laotienne, malgré son exploitation manifeste par des organisations criminelles, suscite des inquiétudes quant à la surveillance gouvernementale. La création initiale de cette zone, et la poursuite de son exploitation malgré les pressions et les enquêtes internationales, témoignent d’une certaine complicité, ou du moins d’une gouvernance inefficace.
4.2.2 Birmanie
Le paysage politique chaotique du Myanmar est significatif pour le scénario du Triangle d’or. L’instabilité limite les efforts coordonnés pour lutter contre la criminalité. Les troubles civils persistants et le coup d’État de 2021 ont créé des vides de pouvoir. Les groupes armés les exploitent à leur avantage et gèrent les activités illicites sans grande interférence.
4.3.3 Thaïlande
Le gouvernement thaïlandais maintient une emprise très forte sur la région du Triangle d’Or. Néanmoins, les retombées affectent également la région, la corruption des fonctionnaires facilitant les activités illicites du côté thaïlandais de la frontière. Malgré les efforts déployés pour remédier à la situation, l’obtention de résultats significatifs nécessitera probablement une collaboration transfrontalière accrue et des initiatives de lutte contre la corruption.
5 Conclusion
Fort d’une longue histoire, le Triangle d’Or demeure une plaque tournante régionale du crime organisé transnational. La faiblesse de la gouvernance, la corruption et l’instabilité favorisent les économies illicites dans la région. Bien que la production et la contrebande d’opium et d’héroïne aient longtemps été les principales activités illicites, les drogues de synthèse, la traite des êtres humains et le blanchiment d’argent connaissent une forte augmentation. Le rôle joué par Zhao Wei, largement commenté par les gouvernements internationaux et la presse, illustre l’exploitation des ZES à des fins criminelles. Les tentatives de démantèlement de ces réseaux échouent. Nous concluons donc que le Triangle d’Or restera très probablement un pôle crucial de la production et du commerce mondiaux de drogue, et un refuge pour les organisations criminelles transnationales, pour les années à venir.
par | Avr 6, 2025 | Moments d'histoire
Les navires fantômes russes hantent la Libye
Le Kremlin utilise des navires de sa « flotte fantôme » – des centaines de navires commerciaux vieillissants dont le propriétaire est obscur – pour envoyer du matériel militaire à l’homme fort libyen Khalifa Haftar, révèlent des documents divulgués.

Le Barbaros, un cargo photographié en route de Russie vers la Libye.
Au printemps dernier, un cargo battant pavillon camerounais, le Barbaros, a traversé le détroit du Bosphore à Istanbul. Le Barbaros avait débuté son voyage en Russie et faisait route vers un port de l’est de la Libye contrôlé par un chef de guerre dont les forces ont été accusées de crimes contre l’humanité par une mission d’enquête de l’ONU.
Alors que le Barbaros traversait le Bosphore en avril, un observateur attentif, YörükIşık, qui dirige un cabinet de conseil analysant l’activité maritime dans le détroit, a pu apercevoir sa cargaison. Isik a publié des photos du Barbaros sur X, le décrivant comme un « navire d’intérêt » transportant des camions souvent utilisés dans des missions militaires et fabriqués par une entreprise russe sanctionnée.
Une vague d’intervention policière a suivi, selon des documents fuités provenant d’une mission navale de l’Union européenne appelée Opération Irini. Cette mission vise à suivre et à bloquer les livraisons d’armes à destination de la Libye, interdites par un embargo international sur les armes.
Les documents montrent comment des navires commerciaux – connus sous le nom de flotte fantôme – ont usé de diverses astuces pour éviter d’être repérés lors du transport d’équipements russes vers la Libye. Ils mettent également en lumière les inquiétudes croissantes des Européens quant à l’influence de la Russie dans le pays, que les responsables estiment s’inscrire dans une stratégie plus large de Moscou visant à projeter sa puissance en Méditerranée et dans plusieurs pays africains.
Après la publication des photos par Isik, Interpol a rédigé un rapport sur le Barbaros, révélant que le navire avait manipulé son système d’identification automatique (SIA), l’appareil qui transmet les informations sur la position d’un navire, afin de dissimuler sa position. Le rapport indiquait également que le navire avait changé de nom à trois reprises et s’était immatriculé sous pavillon d’un autre pays au moins dix fois depuis 2013. Le rapport estimait que le navire « pourrait transporter des armes à feu destinées à la Libye » et recommandait aux autorités de le surveiller de près.

Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou (à gauche), rencontre le chef de l’Armée nationale libyenne, Khalifa Haftar, en août 2017. Image : Ministère de la Défense de la Fédération de Russie
Le Barbaros était à destination du port libyen de Tobrouk, dirigé par Khalifa Haftar, un chef militaire qui domine la partie orientale du pays.
La flotte fantôme russe a enrichi Moscou en l’aidant à échapper aux sanctions occidentales sur ses ventes de pétrole, selon les États-Unis et l’Union européenne. Qu’ils transportent du pétrole ou des armes, ces navires manipulent souvent leur AIS pour éviter d’être détectés. Dans des dizaines de rapports produits en 2024, les autorités européennes ont observé comment des navires désactivaient leur AIS lorsqu’ils passaient près du port syrien de Tartous, où la Russie possède une base navale. Parfois, ces navires falsifiaient également leurs données AIS pour apparaître à un endroit différent de leur emplacement réel. Dans un autre cas, selon un rapport inclus dans les documents divulgués, un navire soupçonné de transporter des armes de Syrie vers la Libye a manipulé sa position pour apparaître au large de Beyrouth, la capitale libanaise, mais a transmis par erreur sa position comme étant sur la terre ferme à l’aéroport, plutôt que dans le port maritime.
Le 1er mai 2024, l’opération Irini, la mission navale européenne, a abordé le Barbaros et découvert 115 camions de fabrication russe. Bien que ces camions soient d’un type couramment utilisé par les militaires, ils n’avaient pas été spécifiquement modifiés pour un usage militaire et ne violaient donc pas l’embargo sur les armes. Le navire a donc été autorisé à poursuivre sa route vers Tobrouk. Néanmoins, la mission navale européenne a écrit dans son rapport interne que cette cargaison constituait « une confirmation d’une tendance à la militarisation de la région ».
Les responsables de l’opération Irini n’ont pas répondu aux questions de l’ICIJ pour cet article.
Depuis près de dix ans, Moscou soutient Haftar en armes, en argent et en personnel militaire, le plaçant progressivement au rang de principal allié en Libye. Une mission mandatée par l’ONU a rapporté en 2023 que les forces sous le contrôle de Haftar étaient coupables de « crimes contre l’humanité », et un rapport d’Amnesty International a accusé une milice dirigée par son fils de se livrer à des meurtres, des actes de torture et des viols.
Haftar père, double citoyen américano-libyen ayant résidé dans le nord de la Virginie pendant deux décennies, a fait l’objet de multiples poursuites civiles aux États-Unis, accusant ses forces d’avoir tué des civils libyens. Ces poursuites ont été classées sans suite l’année dernière, après qu’une juge a jugé qu’elle n’était pas compétente pour les traiter. Un appel de cette décision devrait être examiné par un tribunal américain en mai.
Malgré cela, les responsables occidentaux n’ont pas fait de Haftar un paria international. En août 2024, trois mois après l’arrivée du Barbaros en Italie, le commandant du Commandement américain pour l’Afrique et un haut diplomate américain ont rencontré Haftar en Libye.
C’est un témoignage de la négligence stratégique occidentale,
— Anas El Gomati, directeur de l’Institut Sadeq
Des responsables européens ont également invoqué l’influence croissante de la Russie dans l’est de la Libye pour justifier un renforcement de la coopération avec les institutions sous le contrôle de Haftar. « Ce que nous ne faisons pas à l’est, la Russie le fera », a déclaré l’ambassadeur de l’UE en Libye, Nicola Orlando, selon le compte rendu d’une réunion d’octobre 2024 au siège de la mission navale de l’UE.
La délégation de l’UE en Libye et les porte-parole du service diplomatique de l’UE n’ont pas répondu aux demandes de commentaires de l’ICIJ.
Anas El Gomati, directeur de l’Institut Sadeq basé à Tripoli, a déclaré que la présence de la Russie en Libye lui donne le contrôle des routes de trafic de migrants vers l’Europe et crée une plaque tournante pour les opérations navales à quelques centaines de milles nautiques des côtes européennes.
« La Russie a un partenariat avec Haftar, mais sa présence en Libye est bien plus liée à l’Occident », a-t-il déclaré. « L’Ukraine est le flanc oriental de l’OTAN, et la Libye le flanc sud – c’est le point faible de l’Europe. »
« Un problème de sécurité immédiat pour l’Europe »
L’intervention russe en Libye, rendue possible en partie par les opérations de sa flotte fantôme, s’est considérablement étendue depuis début 2024, selon des responsables européens.
Selon un document d’information ayant fuité, le chef de la mission navale de l’UE a été informé en juin que le nombre de vols russes vers la Libye au premier semestre 2024 correspondait au total de l’année 2023, et que la mission avait observé « une formalisation de la présence russe » au cours de l’année écoulée. Le document décrit également une augmentation des expéditions militaires russes vers le pays. « La présence navale russe en Méditerranée est un fait et nous constatons des visites régulières de la marine en Libye », indique le document d’information.
Les mercenaires du groupe Wagner, une société militaire privée russe qui opérait en Libye depuis au moins 2018, ont été supplantés en 2024 par l’Africa Corps, une unité sous le contrôle direct de l’armée russe, rapportent les documents divulgués.
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Les livraisons d’armes russes non seulement alimentent le conflit en Libye, mais servent également à étendre son influence dans une région africaine instable et riche en ressources. Moscou utilise la Libye comme « point d’entrée pour sa voie logistique vers le Sahel », peut-on lire dans un résumé interne établi par la mission navale de l’UE à la suite d’une réunion avec l’envoyé allemand en Libye. Ce dernier n’a pas répondu aux demandes de commentaires de l’ICIJ.
Moscou a tiré des bénéfices financiers et politiques de son intervention dans cette vaste région, qui englobe dix pays. Au Niger, par exemple, l’armée russe a soutenu une junte militaire, qui a ensuite invité des entreprises russes à investir dans l’exploitation de l’uranium du pays. En République centrafricaine, des mercenaires russes ont renforcé l’emprise du président sur le pouvoir en échange du contrôle des mines d’or et de diamants.
La Russie est loin d’être le seul pays à violer l’embargo sur les armes imposé à la Libye. Un documentaire de la BBC de 2020 a retracé la manière dont des « navires fantômes » turcs transportaient des armes vers leurs alliés dans le pays, employant des tactiques similaires à celles employées par Moscou.
Mais la chute du président syrien Bachar al-Assad, proche allié de la Russie, en décembre, semble avoir incité Moscou à accroître son implication en Libye. Plus tard dans le mois, le ministre italien de la Défense a déclaré que la Russie transférait des armes de sa base navale syrienne vers la Libye. En janvier, les services de renseignement militaires ukrainiens ont nommé des navires russes qui, selon eux, se préparaient à transporter des armes de Syrie vers la Libye.

Un porte-parole des services de renseignement militaires ukrainiens a déclaré à l’ICIJ que des responsables militaires russes avaient conclu un accord avec Haftar fin 2024 pour transférer certaines unités russes de Syrie vers la Libye et moderniser l’infrastructure aérienne dans l’est de la Libye. Ils ont précisé que l’armée de l’air russe avait effectué au moins 20 missions pour acheminer du personnel et du matériel militaires de Syrie vers le territoire libyen sous contrôle de Haftar, et qu’environ 3 000 soldats russes étaient actuellement stationnés en Libye.
La Libye représente « un problème de sécurité immédiat pour l’Europe » en raison de la présence de la Russie sur place et du rôle de cette nation africaine comme voie migratoire, selon le résumé interne faisant suite à la rencontre avec l’envoyé allemand.
« Cela témoigne de la négligence stratégique occidentale », a déclaré El Gomati, directeur de l’Institut Sadeq. « La Russie a construit un nœud militaire capable non seulement de déstabiliser la Libye, mais aussi de menacer la sécurité européenne à 640 kilomètres des côtes de l’OTAN. »
par | Avr 6, 2025 | Moments d'histoire
Ouganda : le traitement de l’or alimente la criminalité
L’industrie minière ougandaise a connu une expansion remarquable ces dernières années, avec des exportations d’or en plein essor et l’émergence de nouveaux sites miniers à travers le pays. Cette croissance a créé des emplois pour des milliers de personnes. Cependant, des rapports mettent en lumière un aspect plus sombre de cet essor, révélant comment le secteur minier est empêtré dans la corruption, les conflits, les violations des droits humains et la dégradation de l’environnement.
Images provenant de : ugandainvest , Deep Earth , Infrastructure.go.ug , Solidaridad

Photographie d’une mine d’or [ source ]
1 Exportations et importations d’or de l’Ouganda
Les exportations d’or de l’Ouganda ont plus que décuplé en 2023, atteignant 2,3 milliards de dollars. Malgré les sanctions américaines contre l’African Gold Refinery, un important transformateur d’or, et son propriétaire, les autorités ont accusé l’homme d’affaires belge Alain Goetz de faire de la contrebande d’or depuis la République démocratique du Congo (RDC). Cette hausse est largement attribuée aux nouvelles capacités de traitement, notamment de l’entreprise chinoise Wagagai Mining Ltd dans l’est de l’Ouganda, ainsi qu’à la suspension des droits de douane sur les exportations d’or. Si l’Ouganda continue de s’imposer comme un pôle aurifère régional majeur, des inquiétudes persistent quant à son rôle dans le blanchiment d’or illicite, notamment en provenance des zones touchées par les conflits.
La production d’or de l’Ouganda a atteint 3 200 kg en décembre 2022, contre 2 900 kg en 2021. Au fil des ans, la production a fluctué, s’établissant en moyenne à 1 500 kg par an de 1993 à 2022, avec des hauts et des bas notables. Le pays a enregistré son pic de production à 3 400 kg en 2016, tandis que sa production la plus basse était de 0 kg en 2009. À ce jour, il s’agit des données les plus récentes disponibles, rapportées par l’US Geological Survey et gérées par le China Economic Information Center (CEIC). Elles mettent en évidence l’évolution du rôle de l’Ouganda sur le marché mondial de l’or. L’Ouganda est également classé dans le World Trend Plus Metal and Mining Sector pour le suivi de la production de métaux précieux.
Les contrebandiers importent la majeure partie de l’or en Ouganda depuis l’étranger, malgré son statut de première exportation du pays. L’or profite aux élites politiques et aux acteurs internationaux, mais contribue peu au développement économique local. Les scandales persistent, comme l’expédition controversée d’or vénézuélien à la raffinerie d’or Africa Gold en 2019, qui a tendu les relations de l’Ouganda avec les États-Unis. Aujourd’hui, le problème central reste celui des droits fonciers et de l’exploitation, en particulier à Karamoja, où la richesse en ressources naturelles entraîne souvent des déplacements et des conflits plutôt que la prospérité des communautés locales. [ source , source , source ]
2 scandales majeurs : réseaux de contrebande et acteurs clés
L’importance de l’Ouganda dans le commerce illicite de l’or a été entachée par une série de scandales et de révélations, tant historiques que récents, qui illustrent l’enracinement profond des réseaux de contrebande. Ces scandales impliquent des personnalités influentes, des contrebandiers internationaux et même la complicité de l’État, soulignant le défi auquel l’Ouganda est confronté pour assainir son secteur aurifère.
2.1 Le « scandale de l’or » de 1965
La politique, les conflits et la corruption ont longtemps façonné le commerce de l’or en Ouganda, depuis le scandale de l’or de 1965. Ce scandale impliquait Milton Obote (Premier ministre ougandais de 1962 à 1966), Idi Amin (commandant de l’armée puis dictateur de l’Ouganda de 1971 à 1979) et des allégations de trafic illicite liées aux rebelles congolais. L’or a joué un rôle essentiel dans le développement du militarisme ougandais, influençant les luttes de pouvoir et alimentant les tensions qui ont conduit à des coups d’État et à des réalignements politiques.
Les conséquences politiques furent immenses : elles ébranlèrent la confiance envers le gouvernement et alimentèrent les tensions qui conduisirent au renversement d’Obote quelques années plus tard. Cet épisode établit un modèle où les élites ougandaises exploitèrent le chaos régional à des fins personnelles, un schéma qui allait se reproduire sous diverses formes. En effet, dans les années 1970, sous le régime d’Idi Amin, des responsables ougandais pillèrent l’or du Congo, bien que la dictature militaire gardât les détails opaques. Ces cas historiques montrent que la contrebande d’or et la corruption à haut niveau sont depuis longtemps étroitement liées à la gouvernance ougandaise. [ source , source ]

Photographie de Milton Obote (Premier ministre de l’Ouganda 1962-1966) [ source

]Photo d’Idi Amin (commandant de l’armée et plus tard dictateur de l’Ouganda de 1971 à 1979) [ source ]
2.2 « La laverie automatique dorée » de 2018
Un rapport d’enquête de The Sentry, intitulé « The Golden Laundromat: The Conflict Gold Trade fromEastern Congo to the United States and Europe », révèle comment l’or de conflit provenant de la République démocratique du Congo (RDC) est blanchi via l’Ouganda et pénètre dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment celles de 283 sociétés américaines cotées en bourse, telles qu’Amazon, Sony et General Electric. Le rapport met en lumière un réseau de contrebande d’or contrôlé par le magnat belge Alain Goetz, dont l’African Gold Refinery (AGR) en Ouganda raffinerait de l’or provenant de zones de conflit en RDC avant de l’exporter vers l’Europe et les États-Unis via des intermédiaires, comme Tony Goetz NV, une raffinerie belge implantée à Dubaï. En 2017, AGR a exporté 377 millions de dollars d’or, malgré une production ougandaise nettement inférieure, confirmant les soupçons d’approvisionnement illicite.
Le rapport indique que la contrebande d’or finance les groupes armés dans l’est du Congo. Elle contribue également au conflit en cours et aux violations des droits humains, entraînant le déplacement d’environ 4,5 millions de personnes. Il appelle à des sanctions ciblées, à des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent, à un renforcement de la réglementation bancaire et à des enquêtes sur AGR, Tony Goetz NV et les sociétés associées. Il appelle également à un renforcement des mesures de sécurité aérienne afin de prévenir la contrebande d’or. Les conclusions soulignent l’urgente nécessité d’une surveillance accrue du commerce mondial de l’or. Le conflit autour de l’or continue d’alimenter la violence, la corruption et les réseaux financiers illicites, tout en pénétrant discrètement les marchés traditionnels [ source , source ].

Photo de New Vision. Au centre, Alain Goetz, PDG d’African Gold Refinery [ source ].
2.3 Transfert d’or du Venezuela vers l’Ouganda
Un autre incident très médiatisé a mis en lumière le rôle de l’Ouganda dans le contournement des sanctions internationales. En 2019, l’AGR ougandaise a été au cœur d’une controverse après que 7,4 tonnes d’or en provenance du Venezuela – pays sous sanctions américaines – ont été acheminées par avion à Entebbe en deux cargaisons. La cargaison valait environ 300 millions de dollars. Cet incident a suscité l’inquiétude, le régime vénézuélien en difficulté cherchant à brader ses réserves d’or pour obtenir des liquidités indispensables.
Plus récemment, des vols entre Caracas et Entebbe ont alimenté les soupçons selon lesquels le gouvernement du président vénézuélien Nicolas Maduro exporte de l’or vers l’Afrique et le Moyen-Orient pour échapper aux sanctions. Les autorités ougandaises ont initialement saisi 3,6 tonnes d’or, soupçonnées d’infraction aux sanctions ou aux lois douanières. Cependant, fait surprenant, le procureur général ougandais a déclaré que l’importation d’or par AGR était légale au regard des règles ougandaises d’exonération fiscale et a ordonné le retour des lingots saisis à la raffinerie. La police a rapidement restitué l’or et s’est retirée des locaux d’AGR, donnant ainsi le feu vert à la transaction. Il est apparu par la suite que, bien qu’aucune loi ougandaise n’ait été enfreinte, le gouvernement américain avait fait pression sur l’Ouganda pour qu’il cesse ses transactions d’or vénézuélien ; le procureur général a même ordonné à AGR de s’abstenir de toute nouvelle importation en provenance du Venezuela compte tenu des sanctions internationales.
Ce scandale a mis en lumière la façon dont les politiques laxistes de l’Ouganda ont fait du pays un pôle d’attraction pour l’or « listé noire ». De l’or provenant de pays sanctionnés comme le Zimbabwe et le Soudan a également été acheminé vers l’Ouganda ces dernières années. Chaque épisode de ce type non seulement ternit l’image de l’Ouganda, mais l’expose également à des frictions diplomatiques. [ source , source , source ]
2.4 Scandales récents
Ces derniers temps, le secteur aurifère ougandais a été secoué par des scandales répétés de fraude et de contrebande. Ces scandales ont valu à l’Ouganda des gros titres négatifs dans les médias nationaux et les rapports des organismes de surveillance, qui ont décrit une « vague incessante de scandales liés à l’or ». Par exemple, Kampala a été le théâtre de nombreuses escroqueries à l’or contrefait ciblant les investisseurs étrangers.
En janvier 2025, les ressortissants kazakhs BaishevRinad et JambulovOlzhas ont accusé des hommes d’affaires ougandais de les avoir escroqués dans le cadre d’une escroquerie à la contrefaçon d’or. Ils ont été invités en Ouganda en mars 2023 par un certain Eric. Ce dernier a faussement prétendu entretenir des liens avec le président ougandais. Eric les a présentés à Joseph Akandwanaho et Joram Kamukama, des négociants en or présumés opérant sous la bannière de SeroMinerals Ltd à Kampala. Pour vérifier l’affaire, les investisseurs ont engagé l’avocat Raymond Ntende, qui leur a versé 14 000 dollars. Plus tard, ils ont affirmé qu’il était également impliqué dans l’escroquerie.
Les Kazakhs ont accepté d’acheter 25 kg d’or, en payant 113 125 $ de taxes et de frais, et ont reçu 3 kg en dépôt. Peu après, on leur a demandé 40 000 $ supplémentaires, qu’ils ont également payés. Cependant, les vendeurs ont retardé l’expédition. Lorsque les investisseurs ont exigé un remboursement, ils ont été menacés et ont découvert plus tard que l’or reçu était contrefait. Ils ont également allégué que les employés du centre de test d’Eurogold échangeaient de l’or véritable contre de faux alliages. [ source , source , source ]
3 flux d’or entre l’Ouganda et la RDC récemment
Le commerce de l’or en Ouganda demeure profondément entaché d’activités illicites. Les opérations militaires et les réseaux de contrebande façonnent son paysage économique et politique. L’armée ougandaise opère dans l’est de la RDC sous couvert de lutte antiterroriste contre les Forces démocratiques alliées (ADF), mais elle s’efforce également de sécuriser l’accès aux ressources aurifères et de contrôler les principales routes de contrebande. Les analystes affirment que la contrebande d’or alimente l’instabilité régionale.
Les rapports indiquent que les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) ont facilité le trafic illicite d’or. Par conséquent, cela complique les efforts de maintien de la paix. Les exportations d’or de l’Ouganda ont bondi à 2,3 milliards de dollars en 2023. Malgré une production nationale de seulement une fraction de ce montant, ce qui souligne son rôle de plaque tournante du blanchiment d’or en provenance de RDC. Un rapport d’experts des Nations Unies de 2024 a également dénoncé une entreprise basée à Kampala, MetalTesting and SmeltingCompany, pour avoir orchestré un système de contrebande sophistiqué. L’entreprise a préfinancé des contrebandiers congolais, envoyé des agents à Arua, ville frontalière du nord de l’Ouganda, et organisé des livraisons hebdomadaires de 20 kg d’or illicite.
L’entreprise a ensuite regroupé l’or et l’a exporté comme produit ougandais. Cela met en évidence la capacité d’adaptation des réseaux de contrebande malgré les scandales passés et la surveillance internationale. La persistance du blanchiment d’or – des années 1960 à nos jours – révèle le caractère lucratif et profondément ancré de ce commerce, impliquant souvent des personnalités influentes et des acteurs internationaux opérant en toute impunité. [ source , source ]
4 Conclusion
Le blanchiment d’or en Ouganda est une histoire complexe, faite d’opportunités et d’abus, où la promesse de gains économiques a été entachée par la corruption, les conflits et la criminalité internationale. Historiquement petit producteur d’or, l’Ouganda a su tirer parti des troubles régionaux pour devenir un exportateur majeur. Mais au prix de se transformer en une véritable blanchisserie d’or sale. L’impact géopolitique du commerce de l’or en Ouganda souligne qu’il ne s’agit pas d’un problème propre à l’Ouganda. Il est profondément ancré dans les conflits régionaux et les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les conséquences économiques et sociales sur le plan national ont jusqu’à présent été à double tranchant : un boom statistique qui dissimule une pauvreté persistante et une corruption sur le terrain. Comme le montre la réponse internationale, une volonté collective émerge pour relever ce défi, en intégrant le blanchiment d’or en Ouganda dans une lutte plus large contre les minerais de conflit et les flux financiers illicites.
L’Ouganda se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Il peut choisir de poursuivre ses activités comme si de rien n’était – courtiser les investisseurs aurifères à tout prix et servir de plaque tournante de transit peu surveillée – mais cela risque d’aggraver la corruption et l’isolement international. Alternativement, l’Ouganda peut mettre en œuvre vigoureusement les réformes engagées, en adoptant la transparence et l’exploitation minière légale, transformant ainsi son secteur aurifère en un moteur légitime de développement. Les années à venir détermineront si l’Ouganda se défait de son image de « blanchisseur d’or » de l’Afrique. Il peut plutôt trouver un équilibre entre prospérité économique, approvisionnement éthique et paix, transformant ce qui est aujourd’hui une histoire trouble d’or blanchi en une réussite d’or propre alimentant une croissance durable